Etudes de lettres : préjugés d’hier et réflexions pour penser demain
- paris8enlettres
- May 22, 2020
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Updated: May 27, 2020
Quand j'ai dit à des amies étudiantes en lettres que je souhaitais rédiger un article sur les préjugés auxquels nous faisons face, elles ont réagit du tac au tac : "Si tu as besoin d'idées, je suis là", "J'en ai une liste hardcore, mais je te garantis que je n'invente rien !" Alors je les ai écoutées : "Les littéraires, ce sont des artistes qui partent dans des pensées fumistes au lieu de se concentrer sur les vraies choses de la vie". La littérature, ce n'est donc pas une vraie chose de la vie ? J'écris ces mots confinée, comme tout le reste de la France et plusieurs pays du monde, et je ne peux pas m'empêcher de remarquer une chose : nous nous tournons vers la littérature, nous nous tournons vers les artistes. Pas parce qu'ils sont fumeux, mais au contraire parce qu'il nous semble être les seuls à avoir pu prédire un tel événement. Combien de "Camus avait tout dit " a-t-on pu lire ces dernières semaines ! Et il suffit de voir le boom des ventes de La Peste pour comprendre que l'on a besoin de se tourner vers ces modes de pensées pour comprendre le monde dans lequel on évolue. Cela me mène à répondre à une deuxième accusation que me rapportaient mes amies : "les littéraires cherchent à tout prix à être originaux". Et alors ? L'originalité ce n'est pas quelque chose de négatif, au contraire, cela révèle d’une capacité des élèves issus des filières littéraires à s'adapter dans un grand nombre de situations, notamment professionnelles. Oui, car les étudiants en lettres, contrairement aux idées reçues, n'ont pas tous pour aspiration d'être professeur.es ou écrivain.es. Dans notre petite rédaction, je suis la seule qui ai pour ambition d'être professeure. Dans notre promotion, nous ne sommes d'ailleurs que trois ou quatre à envisager ce métier. Le métier d'écrivain n'est pas beaucoup plus populaire parmi nous, et le chômage n'intéresse personne !
Les résultats de tous ces préjugés sont cependant des sondages accablants. Les étudiants en lettres et en sciences humaines sont en effet particulièrement susceptibles de manquer de confiance en eux ou en leur diplôme. Selon une étude publiée en 2012 dans le journal Agora débats/jeunesses1, « en France, seul un jeune sur quatre croit dans son propre avenir et 27 % pensent avoir un bon travail dans le futur. ». Et ce manque de confiance s’accroît particulièrement pour les étudiants en lettres : « la filière universitaire est indissociable des perspectives d’employabilité et de l’espérance du diplômé de trouver un emploi, [...] la filière «lettres et sciences sociales » regroupe les étudiants qui ont le moins confiance dans le diplôme préparé. ». Et pour cause « 11 % des recruteurs et 15 % des étudiants seulement pensent que la filière lettres est adaptée à l’entreprise. Enfin, 21 % des étudiants en sciences humaines et sociales jugent que l’accès à un emploi est une démarche très difficile. »
Pourtant, les étudiants en lettres ont le même accès à l'emploi que les autres, et ce avec une grande diversité des corps de métier. Le professorat est l'un d'eux, bien sûr, mais jusqu'à preuve du contraire, il faut des professeurs dans tous les domaines, et pas simplement en lettres ! Le métier d'écrivain en est un autre, mais cela ne s'improvise pas. A Paris 8, un master de création littéraire a ainsi pour but de former les étudiants, des ateliers d'écriture sont par ailleurs proposés aux élèves de licence. Ce sont ces ateliers qui ont donnés lieux à la création par des étudiants de licence 1, en collaboration avec l’auteur Omar Benlâala, des textes lus par un groupe d’étudiants de notre master2. Les études de lettres sont une porte d'entrée vers tous les métiers du livre : que ce soit, donc, du côté de leur création, mais aussi de leur édition ou de leur commerce. Elles sont également une voie vers les métiers de la médiation culturelle et de la communication3. Si l'on fait un pas de côté par rapport à ces métiers encore très centrés autour de la culture, les étudiants en lettres ont également des perspectives dans les grands groupes : des étudiants de notre master ont ainsi pu s'inscrire dans le programme Atout Jeunes Universités, qui a proposé à certains étudiants de notre master de s’associer à des missions de consulting auprès des entreprises Danone et Aéroport de Paris.
Au risque de répéter notre édito, il faut également rappeler que les étudiants en lettres ont un profil bien plus valorisé qu’ils ne le pensent : 75% des Français voient le fait d’avoir un bagage en humanités comme un avantage pour la vie professionnelle ! Il ne me reste plus qu’à espérer que ces Français soient des étudiants en lettres.
Hanna
1 Zaffran, Joël. « La confiance, le diplôme et l'employabilité. Un triptyque sociologique des étudiants », Agora débats/jeunesses, vol. 60, no. 1, 2012, pp. 35-50.
2 Des lectures théâtrales de ces textes sont à retrouver dans notre rubrique PODCAST
3 Communication et médiation ont été explorées par le groupe after-class, voir ci-dessous
Dans la préparation de l’after-class, le groupe chargé de l’organisation de l’évènement a été amené à travailler dans une même direction. Mélissa, Maroua, Sagda et Chanez respectivement étudiantes en Master 1 Littérature française et francophone et en Master 1 Littérature générale et comparée ont accepté de répondre à nos questions.
Kéa: Vous avez-dû penser logistique, organisation, comment tout cela s’est-il passé ? Qu’avez-vous fait? Quelles ont été vos difficultés?
Mélissa: En ce qui concerne l'organisation, nous avions convenu de plusieurs rendez-vous pour un meilleur échange entre membres du groupe, aussi nous avons créé un groupe Whatsapp pour des échanges quotidiens. Pour la rencontre avec les invités, nous avions prévu une rencontre amicale entre étudiants et professionnels, comme un meet up, où chaque invité se présente à son tour pour qu’ensuite il s’installe à une table qui lui est dédiée, pour que les étudiants puissent aller à sa rencontre plus facilement. Nous nous étions mises d’accord pour attribuer une couleur à chacun des invités selon son métier et de nous préparer des tee-shirts pour l’occasion comme membres du staff. Au début de la rencontre, une présentation PowerPoint était prévu, avec une vidéo présentant les différents membres des différents groupes du master, expliquant la fonction de chacun des groupes. Sans oublier le buffet, pour un meilleur accueil de nos invités. Les difficultés rencontrées sont celles inhérentes au virus du covid-19 qui nous ont obligées à tout changer, donc plus de rencontres. Aussi la réponse des intervenants qui tardait à répondre ou les refus que nous avons pu rencontrer.
Maroua: Au début, je suis passée par une période de flottement, ne sachant par quoi commencer. La documentation était de toute évidence nécessaire, mais comment la dénicher ? Sur le net ? Où et comment chercher ? Faute de mieux, je me suis rabattue sur ce que j’ai pu trouver : des numéros du Nouveau magazine littéraire , L’Express où des pages entières sont réservées à la littérature. J’ai pu établir une courte liste de personnes à contacter. Malheureusement, et comme il fallait s’y attendre, certaines n’ont pas répondu à ma sollicitation, d’autres (Maisons d’édition) ne communiquent pas les coordonnées des écrivains…
En ce qui concerne l’organisation, il a fallu m’y plier, d’abord à mon niveau ensuite, au niveau du groupe où s’opèrent la répartition (des tâches) et la concertation.
Les difficultés, outre celles que j’ai évoquées plus haut, tiennent à la nécessité de maîtriser le facteur temps pour respecter le délai imparti sachant que d’autres tâches nous ont été confiées par d’autres professeur.es en plus de celles, plus terre-à-terre mais nécessaires dans notre quotidien et enfin de faire avec le confinement, la solitude et un minuscule studio qui ne favorisent pas la concentration.
Sagda: Honnêtement au début nous étions un peu dans la confusion. Par où commencer? Comment ? Qu’est ce que l’on attend véritablement de nous ? Où notre rôle commence et où est-ce qu’il s’arrête. Dans un premier temps, il fallait que nous ayons un contact régulier, j’ai rapidement créer un groupe Whatsapp. Nous étions cinq au début, puis après des départs et des nouvelles venues, nous nous sommes officiellement retrouvées à six. Je pense que nous avons eu de la chance parce que nous nous entendons toutes assez bien. Dans les premiers jours nous avons ouvert un Google doc avec toutes les informations importantes et officielles concernant le projet. Ensuite nous avons organisé un premier rendez-vous, les tâches ont été réparties. Nous avons discuté du nombre d’intervenants, des contacts que nous avions chacune, du budget, de la mise en place, de la communication avec les autres groupes, tout ça ! Je pense que nous nous en sommes plutôt bien sorties de ce côté là ! Une fois que nous avions bien avancé de ce côté et que nous savions où est-ce que nous avancions et ce qui nous posait problème, nous sommes allées voir Anne Duhin pour discuter et parler d’une seconde option si l’évènement ne pouvait pas avoir lieu à cause des grèves. C’était sans compter sur le confinement !Je pense que globalement tout s’est bien passé. Finalement, le plus difficile a été d’accorder nos emplois du temps, et de rattraper le retard avec les nouvelles personnes qui sont venues dans le groupe: je pense que ça nous stressait pas mal comme la date opératoire arrivait bientôt !
Chanez: En ce qui concerne la logistique de l’after class nous avons travaillé sur nos idées d’organisation afin de les mettre en pratique. Pour cela, nous avons commencé par répartir les tâches de chacune : gestionnaire de groupe, responsable de la restauration et/ou animation, responsable de la communication avec les intervenants et confection de badges/matériel nécessaire à la réalisation de l’after class. Tout cela a été discuté et mis en phase de réalisation à travers des meeting virtuels sur Whatsapp et des rencontres physiques à Paris 8. Puis, consolidé par Anne Duhin du SCUIO-IP de Paris 8 (Service commun universitaire d’information, d’orientation et d’insertion professionnelle) . Sur le plan personnel, j’ai contacté des personnes qui évoluent dans un domaine professionnel autre que la littérature, c’est-à-dire des personnes qui ont réussi à se situer dans une reconversion professionnelle à travers le temps, après un parcours littéraire. Pour cela, j’ai commencé par contacter des personne que je connaissais personnellement et puis j’ai publié le besoin de notre groupe sur un groupe d’édition afin d’obtenir davantage de contacts. La difficulté rencontrée concerne la disponibilité des intervenants.
Kéa: La communication mais aussi la médiation culturelle sont des secteurs qui font un bon accueil aux étudiants en lettres. Le saviez-vous ?
Mélissa: J’en ai entendu parler mais pas obtenu de vrai réponses concernant les pistes pour postuler.
Maroua: Pas tout à fait et la question a le mérite de nous pousser à la réflexion. Ce que l’on devinait intuitivement devient une évidence. En matière de communication, de publicité ou de management, derrière un discours officiel où chaque mot et soigneusement choisi, un slogan, une directive destinée au personnel, s’effectue tout un travail de préparation que l’on doit à ce que l’on appelle « une belle plume ». Le style et le sens de la formule valent mieux que tous les chiffres et tous les graphiques. Les hommes politiques, les hommes d’affaires, les journalistes savent à quel point leurs interventions et leurs productions sont scrutées et qu’il y va souvent de leur crédibilité. Quant au médiateur culturel, je ne savais pas en quoi consistait son rôle et après recherche, il s’est avéré être un intermédiaire entre un public et une œuvre ou une proposition
culturelle. Il doit suivre une formation sanctionnée par un diplôme. Oui, tous ces secteurs ont assurément besoin de nous.
Sagda: Oui, je suis assez au courant des domaines dans lesquels les étudiants en lettres peuvent travailler. Malheureusement, bien que ces secteurs ne nous soient pas totalement fermés, j’ai l’impression que cela nous reste restreint.Si tu en lettres et que tu veux travailler dans le domaine de la communication, du management, et même de la médiation culturelle tu dois faire tes preuves, et beaucoup plus que si tu sortais d’une école, ou d’un BTS en communication, ou d’un parcours initial en médiation. Je pense qu’à part pour être professeurs, nous étudiant.e.s en lettres sommes toujours un peu sous-cotés, même si, tout n’est pas fermé, c’est toujours plus difficile.
Chanez: Oui, ce sont des secteurs qui rencontrent des besoins de diplômés en lettres. Ceci étant, à mon sens, ce n’est pas évident d’intégrer une boite de com ou de publicité sans avoir effectué une formation dans le secteur concerné. Par contre, le fait d’avoir bénéficié d’une telle expérience avec ce module de professionnalisation aide à avoir un curriculum vitae riche d’une expérience qui englobe des besoins de recruteurs qui cherchent des profils polyvalents.
Kéa: Est-ce que finalement cette expérience a été bénéfique pour vous ? Qu’est-ce qu’elle vous a apporté personnellement ?
Mélissa: Je ne pense pas avoir eu une véritable expérience en sachant les conditions sanitaires actuelles, malheureusement nous n’avons pas pu aller au bout de l’expérience. Sinon, la mise en idée et le fait de faire le relais entre les membres de mon groupe et les autres groupes aura été bénéfique et je pense que j’apprécie ça, plus que la mise en page ( la rédaction des projets). J’aime mieux coordonner et proposer des idées, les développer, c’est ce que l’organisation de l’after class aura pu me montrer et m’apporter personnellement.
Maroua: Bénéfique, oui, à plus d’un titre. Elle m’a enrichie par l’apport ou un supplément de connaissances. Ensuite, j’ai plutôt été rassurée sur mon avenir, de savoir que bien des débouchés s’offraient à moi à la fin de mes études. Enfin, je suis plus forte d’une conviction: la littérature a encore de beaux jours devant elle notamment en cette époque où la technologie met à mal la langue.
Sagda: Je pars du principe que chaque expérience est bonne à prendre alors oui, elle l’a été. Nous avons rencontré une période difficile entre les grèves et le confinement. Mais finalement, ça nous a peut être été plus bénéfique ainsi. Personnellement, j’ai été très déçue de ne pas pouvoir mettre ce projet debout tel que nous l’avions imaginé. Mais apprendre à dépasser cette déception et trouver une seconde solution, s’adapter rapidement, ça fait aussi partie de l’enjeu. C’est tout à fait satisfaisant de savoir que nous avons pu le relever. Humainement parlant, je pense que ce type d’imprévu rapproche un groupe de travail. J’ai peut être parlé avec des gens à qui je n’aurai jamais parlé autrement et conçu un projet que je n’aurai jamais conçu autrement. Il vaut mieux voir le verre à moitié plein!
Chanez: Je pense que c’est une expérience très bénéfique dans une formation littéraire. Le fait de former des étudiants qui se destinent au monde de la recherche et l’enseignement est très fructueux car ça démontre des ouvertures vers des reconversions professionnelles qui peuvent être possibles et réalisables même avec un parcours lettres. Cette expérience permet de déterrer des talents, peut être dissimulés jusqu’à présent pour certains, et les mettre en pratique pour en faire de futurs métiers et spécialisations.
Les intervenant.es contacté.e.s par le groupe médiation et logistique de l’after-class, initialement prévu.e.s le jeudi 2 avril 2020, sont les suivant.e.s:
-Aude Eychenne: responsable adjointe de la bibliothèque de Géographie de Paris 8
- Pierre Bayard écrivain,professeur à Paris 8.
-Boucetta, formé dans le domaine de la traduction.
-Odile Boubakeur: responsable éditoriale de la société de Mathématiques de France
- Nadège Fauchet ( les étudiantes du groupe after class tiennent à remercier Mme Simasotchi-Bronès leur ayant permis d’entrer en contact avec cette dernière), monde de l’édition.
Les membres du groupe préparation de l’after-class ont réfléchi à une interview de chaque intervenant pour finalement leur adressé un questionnaire. Le groupe after-class a su se réinventer dans la logistique, la communication et la médiation relative à cet évènement. A ce jour, nous avons été contacté par Chanez. Elle nous a proposé de nous envoyer les réponses au questionnaire adressé aux intervenants afin de les publier sur notre blog.
Kéa
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