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Quand le mal-être étudiant gagne du terrain

Auteur : Kab Niang


« Depuis un an maintenant, depuis le premier confinement, je ne cesse de penser à mon avenir. Je pense que je vis les pires moments de ma vie. Heureusement que je vis chez ma mère, sinon ça aurait pu être plus compliqué encore. Psychologiquement, c’est dur et vraiment triste de voir des jeunes étudiants comme nous qui se suicident. Nous sommes tous en détresse », détaille Eva Stachowiak, 23 ans, étudiante en Droit venue chercher des habits à la boutique solidaire du Secours Populaire, pour se protéger contre le froid et un panier de repas.





Ce vendredi 23 avril, plus d’une centaine d’étudiants ont fait le déplacement sous le soleil pour récupérer leurs colis alimentaires dans le hall de l’université de Paris 8, initié par l’antenne étudiant du Secours Populaire de l’université, situé au 2 rue de la liberté. Si certains sont satisfaits de pouvoir rester dans l’ombre chez eux, les étudiants rencontrés ce jour-là ne connaissent pas ce luxe. En pleine crise sociale et économique, Ils n’ont d’autre choix que de frapper à la porte de l’association, faute de pouvoir se nourrir, se vêtir, et faute d'être soutenus par une véritable volonté politique.


Depuis la rentrée universitaire, on note un grand écart entre les annonces du gouvernement et la réalité du terrain, écart incompréhensible face à l’urgence de la situation. Tandis que s'amplifie la précarité et se multiplient les situations de détresse absolue chez les étudiants, ce sont des initiatives associatives qui secourent majoritairement les victimes de la crise. C'est un fait. Très nombreux sont les étudiants en proie à une angoisse permanente qui ne peuvent plus se concentrer sur leurs études. Une spirale infernale se met en place : perte du revenu des petits boulots, loyers impayés, difficultés numériques pour suivre les cours, repas sautés, décrochage scolaire… Les conséquences personnelles et sociales sont dramatiques : des problèmes de santé psychologique, un isolement social, des suicides même : le 12 janvier, une étudiante a tenté de se suicider dans sa résidence universitaire à Lyon, faisant écho au geste désespéré d’un étudiant en Droit quelque jours plutôt. Si souvent précaires, même en situation normale, les étudiants sont parmi ceux qui subissent de plein fouet la pandémie.


Aussi, à l’université, ce jour-là, dans une ambiance bon enfant, les étudiants présents profitent de ces moments de distribution qui est pour eux « le seul moment de retrouvailles entre amis ». En France depuis seulement 6 mois, Rock Okemba 28 ans, étudiant en sciences du langage se réjouit de l’aide du Secours Populaire « Je vis sans ressources et je ne suis pas boursier. Parfois, j’appelle la famille au Congo pour payer mes loyers. Je n’imaginais pas une vie aussi pénible que celle que je mène. Mais heureusement le Secours populaire est présent. Ça fait plaisir de voir des gens qui se soucient de notre sort et qui viennent nous aider. Cette main tendue me dépanne pour au moins deux ou trois semaines et me permet de combler d’autres besoins. ».


En l’espace d’un an, la situation épidémiologie a pris un tournant plus qu’inquiétant chez les étudiants qui vivaient de petits boulots dans la restauration ou faisaient du soutien scolaire ou du baby-sitting, et qui aujourd’hui, n’ont plus ces revenus. Qu’en sera-t-il demain ? Amadou Bangoura, 26 ans, étudiant en master Cinéma garde espoir, même si, comme il dit « Ah ! il faut relativiser. Je pense que c’est dur pour tout le monde ce que nous sommes en train de vivre. J’ai déposé des CV dans tous les secteurs, mais sans succès » dit en souriant désespérément ce jeune guinéen qui ajoute : « Au début, je pensais que j'allais retourner à la vie normale, être au moins en contact avec mes professeurs et mes camarades de classe, me faire des amis pour partager nos expériences. Mais tout ressemble à un mur devant moi. C’est un coup dur. Je n’avais pas d’ordinateur, mais heureusement l’université nous a aidés et le Secours Populaire aussi. Et, avec l’association, j’ai bénéficié de don d'habits pour me protéger du froid, de matériel pour cuisiner et de paniers de repas chaque deux semaines. Je suis vraiment reconnaissant pour toute cette aide », dit-il.


La crise sanitaire a rendu dramatique le mal-être souvent déjà présent chez les étudiants. Selon l’Observateur de la vie étudiante lors du premier confinement, un tiers de ces jeunes a rencontré des difficultés financières lourdes. La précarité touche plus violemment les étudiants étrangers. Parmi les bénéficiaires de l’antenne de Saint-Denis, on croise une sénégalaise, Fatou Dieng, 23 ans, en licence de droit, une congolaise, Magaly Kyalondwa, 23 ans, en licence droit public, un algérien Ismaël, 22 ans, en licence de géographie, une iranienne, Nassim Maous 37 ans, en licence de Langue dans la formation « Tous à l’université » de Saint-Denis. Avec gêne, tous racontent d’une même voix la même histoire : pas de travail, pas de bourse, impossible de bénéficier des aides de l’État, difficultés de suivre les cours… impossible pour eux de vivre décemment en France.


La volonté d’accompagner le plus individuellement possible les étudiants, c’est le but que se fixe le Secours Populaire. Depuis le printemps dernier, l’antenne a décidé de mettre en place un dispositif spécifique qui se complète au fil des mois de nouvelles initiatives. Arielle, 26 ans, bénévole, le décrit ainsi : « Nous sommes en train de mettre en place des activités, appelées « ateliers de relaxation » avec un médecin psy. Leur rôle sera d’accompagner les étudiants qui sombrent dans une détresse collective. Il est important pour nous de penser à leur santé mentale et leurs états d’esprit. Parce que, au delà de l’aide alimentaire, vestimentaire, et numérique, il faut les motiver, leur donner de la confiance pour qu’ils puissent se projeter dans le futur ».


Malgré le travail des bénévoles, malgré les dons, les moyens manquent pour ajuster l’aide apportée par l’antenne du Secours populaire, à la gravité de cette crise. Si les étudiants ne sont pas les victimes les plus visibles , si on les voit peu dans les médias qui ouvrent leurs micros aux commerçants ou aux artistes, ils font pourtant partie des plus touchés, d'autant plus qu'ils étaient déjà dans la précarité. « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie ». La célèbre formule de Paul Nizan, l'ami de Sartre, dans son Aden-Arabie, est aujourd'hui d'une sinistre actualité.




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