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Il neige (25 mars 21)

Nous sommes confiné.e.s.

Nous sommes confiné.e.s ?

Nous sommes confiné.e.s !

Nous sommes confiné.e.s ?

Oui. Non. Oui et non, même si… Nous sommes confiné.e.s-légers, re-(confiné.e.s), pour ainsi dire,

— « reconfinement léger », dit J.C., Premier ministre de la République de la France, le jeudi 18 mars de l’an 2021.


Ma mère au téléphone me l’apprend pour la première fois le lendemain : non ils le disent bien, Macron et Castex, ils se sont corrigés, ou plutôt : Macron et Véran ont corrigé Castex, ils disent bien que ça n’est, en fait, pas un confinement.

Bon. Dont acte. Je suis effaré d’une si piètre communication, de ce qui ressemble à un manque de réflexion ou de préparation. Soit.


Voici(point)fr, site du journal, nous apprend en effet au lendemain de l’annonce de reconfinement, que Macron, ici nommé « Le mari de Brigitte » (intérêt de l’information : nul, sauf quand on s’aperçoit que la périphrase en question est un hyperlien renvoyant à l’article « PHOTOS Noces de corail d’Emmanuel et Brigitte Macron : les 11 plus beaux moments du couple présidentiel », sur-titré « Une histoire qui dure »), Voici, donc, nous apprend par une citation de Macron que nous ne sommes pas confiné.e.s, qu’il y a un désaccord au-sommet-de-l’État (c’est comme ça qu’on dit), un « cafouillage » (on dit comme ça aussi)… Voici (le site) le cite (Macron) qui dit : « Le terme de confinement à proprement parler n'est pas le bon. Aujourd'hui nous parlons de mesures de freinage supplémentaires. » Soit. Pas à proprement parler confiné.e.s, même légers.


Jeudi 25 mars, fin de semaine 1 du confinement-pas confinement, on me propose, l’algorithme de Youtube me propose le direct d’une conférence de presse d’O. V., ministr-euh-des-solidarités-et-de-la-santé (des Solidarités ? on ne sait pas, mais tout le monde le dit, c’est son titre, Olivier des Solidarités et, etc.) une conférence de presse que je ne regarde jamais, que je vais regarder. Je clique et je regarde.

Quelques secondes après mon arrivée, dans le feu de l’action : « Je n'alimenterai pas ici le débat sémantique sur la justesse, sur la pertinence, du mot confinement. Chacun a pu constater que les mesures décidées étaient différentes de celles d'il y a un an. » Merci. Effectivement. On fait appel au bon sens de chacun.e, on tente de couper le flot des moqueries, incompréhensions, discussions autour de l’utilisation pertinente ou non du mot « confinement ».

Il continue : « On entend souvent, et je ne sais pas si c'est une légende, que les Inuits ont plusieurs dizaines de mots pour désigner le mot “neige”. » Pardon ? Qu’ouïe-je ? La surprise est de deux ordres : 1. qu’est-ce que tout ça vient faire ici ? où est passé le covid ? ; 2. pourquoi suis-je dans l’ignorance de cet « on-dit-que », qui visiblement, devrait aller de soi, parce qu’on l’entend « souvent », on imagine même un de ces posts sur Facebook avec un logo Le savais-tu ? Dans ce cas précis non, je ne le savais-tu pas. Mais il a bien précisé : il ne sais pas si c’est une légende, il ne sait pas, mais il va quand même nous le dire, après avoir prévenu qu’il ne savait pas, qu’il n’a pas vérifié, mais c’est du sens commun, tout le monde a déjà entendu, lu ça quelque part (pas moi), donc il peut le dire.

« La langue française est très riche, mais elle manque de mots pour qualifier cette situation si particulière qu’est la mise entre parenthèses d'un certain nombre de libertés et la mise en suspens de notre mode de vie. Ce que je veux dire ici, c’est qu’il n'y a pas un confinement, il y a, passez-moi l’expression, 50 nuances de mesures qui tiennent compte de la situation épidémique proprement dite et ce que nous savons du virus. » Notre langue est riche, on aime à le rappeler, on se flatte un peu gratuitement, ça aussi on le sait. Pourtant, malgré cette incroyable richesse, chasse gardée de l’académie française, la langue (la française), la langue pêche :

rien

n’a

été

prévu

pour

les

confinements.

Bordel total. Inadmissible. Nous sommes perdus. Que faire, quand on sait que les Inuits ont, je crois, j’ai entendu dire, enfin : il paraît, dix (10) mots, pas 4 ou 5 : 10 mots, pour évoquer, savez-vous quoi ? la neige ! Et nous ? Un (1) seul, UN, pour parler des confinements, quand on sait pourtant que le rapport inuit/neige et français/confinement est tout ce qu’il y a de plus équivalent.

C’est le bazar, mais reprenons-nous. Il n’est pas l’heure, mes ami.e.s, d’avoir un énième débat sémantique, dont on sait pourtant que notre pays, à la langue si riche, notre pays et ses citoyen.ne.s, sont si friand.e.s, car une langue si riche dans un pays si riche (en langue, mais pas que, en tout !) ça aiguise la faim des débats sémantiques.

Enfin, et surtout, passons-lui l’expression, un peu d’indulgence ça détend, nous avons en quelque sorte « 50 nuances de confinement », c’est une petite blague, ça ne fait de mal à personne, on n’est pas bien là, entre nous, on peut bien rire ! Ça ne fait de mal à personne, mais ça ne fait rire personne non plus. En revanche, ça fait du clic, clicliclicliclicliclic et on n’a rien appris, et on n’a pas tellement parlé de ce qui comptait vraiment, et si on a, on ne s’en souviendra pas, car ce qu’on retiendra, c’est la petite blague osée d’O.V.


Résumons. Il dit (O. V.) : je ne participerai pas… et il participe. Plus que ça, il saute dedans les deux pieds joints, dans la flaque de boue (de neige fondue de débat sémantique), et il éclabousse bien partout, en remet une couche. Une couche en plus, ça cache les fissures sur le mur (c’est-à-dire par ex. l’augmentation de la pauvreté, la détresse psychologique et économique des étudiant.e.s).

C’est presque comme si c’était fait exprès et d’ailleurs, après,

les titres de journaux,

les titres titrent :



De ça qu’est-ce qu’on comprend ?

Hein ? Qu’est-ce-concomprend ?

Yahoo Actualités qui emboîte le pas, qui sous-titre : « Alors que l’exécutif fait face à une avalanche de critiques… ». Oui, c’est le champs lexical de la neige. C’est léger. On rit. On pleure.


Ce soir des 50 nuances de gêne et de la neige, Le Monde envoie une notification à quelques millions de personnes : « Covid-19 : les mesures de restriction renforcées, actuellement en vigueur dans 16 départements, étendues à la Nièvre, le Rhône et l’Aube. » Le Monde innove sur les termes, tente mais ne se mouille pas. Le Monde écrit « mesures de restriction renforcées », c’est pas mal, trois mots, mais c’est flou. Quelles restrictions ? Renforcées comment ? De beaucoup ? Et en trois mots comme ça, ça mérite bien un sigle :

- MRR (prononcé « èmèrère »),

- ou M2R (« èmdeuzère », un peu proche de « èmdéère » mdr)

- ou un acronyme : les MRR (prononcé « mrrrrrr », qui frissonne, frictionne, on sent l’angoisse de mise, c’est de bon ton).

Le président, Emmanuel Macron, le mari de Brigitte Macron, proposait le 19 mars, on l’a dit, de parler plutôt de « mesures de freinage supplémentaires ». On aurait donc, proposition du président de la République, chef des armées, co-prince d’Andorre, on aurait donc :

- MFS (prononcé : « èmèfèsse »).

(Et mes fesses ?)


Quant à s’informer sur la véracité des propos tenus sur la neige et les langues inuites, ce qui n’est pas rien, ce qui est le cœur même du sujet ici, ce sur quoi repose tout le message à faire passer — fifty shades ok, mais quid de la neige ?—, il suffit de googler « mots inuits neige », pour tomber sur des titres d’articles tels que

« Des centaines de mots pour dire la neige » (on apprend que 25, en sous-titre, d’après Louis-Jacques Dorais).

« Mieux que les Inuits, les Ecossais ont 421 mots pour dire “neige” »

« Les 50 mots des Inuits pour dire la neige »

suivent quelques titres, en fin de page 1, à l’esprit légèrement critique :

« Y a-t-il réellement 25 façons de dire "neige" en Inuit ? »

« Inuit et neige, 52 mots pour le dire ? »

enfin, on tombe sur une page Wikipedia dédiée à l’infox, « Mots esquimaux pour désigner la neige », qui nous informe très rapidement, §1, que l’idée reçue s’appuie sur une hypothèse erronée, et qu’on persiste erronément depuis au moins 1985 et un article de Laura Martin dans American Anthropologist, qui prouve l’inexactitude de l’information, à l’utiliser et la reproduire. (cf. Martin, Laura. “‘Eskimo Words for Snow’: A Case Study in the Genesis and Decay of an Anthropological Example.” American Anthropologist, vol. 88, no. 2, 1986, pp. 418–423. JSTOR, www.jstor.org/stable/677570).


Ainsi cher.ère.s, étudiant.e.s, non-étudiant.e.s, mi-étudiant.e.s, nous faudra-t-il inventer un mot pour dire la situation « si particulière » que nous vivons, puisqu’il s’agit-là de la véritable urgence du moment.

Ainsi, cher.ère.s, un appel doit être lancé pour trouver un mot, que dis-je, des mots pour définir nos cinquante nuances de confinement, et enrichir notre langue (déjà si riche !). Nous privilégierons bien sûr des mots en accord avec l’esprit dominant du temps présent :

de préférence des mots d’apparence pseudo-anglaise (quitte à ce que ce ne soit qu’un ajout de -ing),

de préférence issus de la culture du management, de l’économie ou de la gestion, sigles et acronymes étant bienvenus,

de préférence neufs et neutres et vides, ou tout du moins vidés de leur sens (en somme des mots sans sens).

Des idées ?



Alex Féray-D.

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