top of page

Mes Voisins


Auteur : Simon VERCAEMST


Pendant que je prépare des tomates farcies, je regarde par la fenêtre au-dessus des plaques chauffantes et de l’évier. La boucherie d’en face, au rez-de-chaussée, est encore ouverte et la voisine du premier étage est rentrée. Je la vois tous les jours, sa fenêtre de salon est en face de la mienne et est assez proche car seule une ruelle sépare nos immeubles.


La voisine, comme d’habitude, commence par ranger ses affaires. Elle dépose des armes sur la table du salon. Elle les place méthodiquement, le regard concentré. Elle prend un des pistolets et le démonte avant de nettoyer les pièces une à une. Ces armes doivent être ses outils de travail. Quand elle ne les entretient pas, je la vois faire des exercices physiques dans le salon. Ce doit être une policière ou une militaire. Après les pistolets, les mitraillettes. Par curiosité j’ai parfois regardé par la fenêtre sous tous les angles, je n’ai jamais vu où elle rangeait ses armes dans ce salon qui n’est pas plus grand que le mien. Ce doit être une autre pièce qui lui sert d’armurerie. Tout ce que j’arrive à voir d’ici, c’est le salon et la cuisine. Les deux pièces sont tout à fait banales. Des murs beiges, des meubles achetés au magasin Gifi au bout de la rue. Il n’y a absolument rien de remarquable là-bas. Sauf l’absence notable de décorations comme des photos, des posters ou d’autres objets... Ça manque de personnalité, je trouve. Pourtant la femme devrait en avoir, vu son métier. Elle sort maintenant des couteaux. Elle va faire la cuisine, sans doute. Elle va au fond du salon, je ne la vois plus. Je baisse la tête et je vois que mon repas est prêt. Je vide la casserole et la poêle dans mon assiette et je me réinstalle avant qu’elle ne revienne.


Je suis réduit à regarder une voisine tellement je m’ennuie.


C’est triste.


Je la vois revenir, mais à reculons et penchée en avant. Elle traîne quelque chose qui s’agite. Un gros chien, peut-être ? Ah non, c’est un homme assis sur une chaise. Pas un fauteuil roulant, une chaise. Pourquoi ? Quand elle la lâche, l’homme est pile devant moi, de profil. Je remarque alors qu’il est bâillonné et que ses poignets sont menottés derrière le dossier de la chaise. C’est sûr, elle est policière. Elle n’a pas fini son interrogatoire au commissariat et donc elle a ramené du travail à la maison. C’est bizarre quand même. Est-ce que tous les criminels qu’elle a interrogés savent où elle habite ? C’est courageux de la part de la policière. Dangereux, aussi. Cependant, vu son regard froid, ça n’a pas l’air de lui poser problème. Ils discutent. Ou plutôt l’homme hurle sur la femme indifférente. Soudain, celle-ci lui met une grosse gifle. Je ne savais pas que ça se faisait encore…


Je retire de ma bouche un morceau immangeable. Une écaille ? Ah non, c’est un ongle entier. Je fouille dans la farce à la recherche de la fève, et je trouve un doigt. Le troisième ce mois-ci. Il lui en reste combien, au boucher ? Il ne sait pas se servir de ses outils ou quoi ? Ou alors les doigts sont ceux de l’apprenti.


Je range le pouce mâchouillé avec les autres ; au frigo dans du papier aluminium. Je les rendrai au boucher tout à l’heure, après manger. Je reviens à ma place et je vois la femme faire couler de la cire sur l’homme. Ça, c’est définitivement pas normal pour une policière. Ce ne doit pas en être une, en fait. Sont-ils un couple sado-maso ? Ça expliquerait tout.


La femme prend alors un pistolet et lui parle. L’homme lui crache dessus. Elle vise la tête puis tire. Le sang gicle. Ce n’était pas un jeu, et je m’éloigne immédiatement de la fenêtre avant qu’elle ne vérifie si personne ne la regardait. J’attends dix minutes, par précaution. Je ferme lentement les volets pour regarder par la fenêtre sans paraître suspect aux yeux de ma voisine. Elle n’est plus chez elle. Elle m’a sans doute remarqué et elle vient tuer le témoin. Je m’apprête à sauter par la fenêtre. Un étage, ce n’est pas la mort. En principe. En me penchant, je la vois chez le boucher. Le cadavre aussi est là et il est porté au fond de la salle, sans doute dans la chambre froide par la femme et le commerçant. Là où il range la viande qui me coûte un bras.


Je réalise alors que les doigts ne sont peut-être pas ceux de l’apprenti, et que ce n’est pas une bonne idée d’aller les rendre au boucher. Et qu’il aura des soupçons si je vais chez un concurrent. En attendant, je finis mon assiette : j’ai horreur de gâcher.

31 views0 comments

Recent Posts

See All
bottom of page